A l'été 1892, Pierre RICOTTIER, cultivateur, déclare la naissance de son fils, et lui donne le même prénom que lui : Pierre. A ma connaissance, cela fait 6 générations que le prénom est attribué de père en fils. Son épouse, Augustine GUILBAULT, lui avait déjà donné une fille, Françoise, 3 ans plus tôt. Ils vivent en Touraine, tout près de Chinon.
J'ai rencontré Pierre (le fils) lors des recherches que j'ai entreprises pour reconstituer les familles victimes du Massacre de Maillé, perpétré par les Nazis en Touraine, le 25 août 1944. Son histoire, comme tant d'autres, m'a touchée. J'ai eu envie de la retracer ici. Le récit est un peu long, mais son parcours nécessitait un texte un peu long.
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Pierre a été recensé avec ses parents et sa soeur à Cinais, en 1896 (aux Granges), 1901 (à la Pennezaie) et 1906 (à Pontille). A l'automne 1906, Françoise se marie avec René CHÂTEAU, un cultivateur. Elle quitte le foyer parental pour s'installer avec son époux à Beaumont-en-Véron.
En 1909, Françoise et René ont une fille qu'ils prénomment Hortense.
Pierre est recensé avec ses parents à Beaumont-en-Véron (à Berry) en 1911. Il a alors 18 ans et il est ouvrier agricole.
En 1912, Pierre est enregistré comme tous les hommes de 20 ans par l'administration militaire (classe 1912 - bureau de Châtellerault - matricule 613).
Il part au régiment en octobre 1913 pour deux ans. En fin d'année, il père son grand-père Pierre (4è du nom). Puis la guerre éclate, Pierre doit combattre contre l'Allemagne. Il est téléphoniste et mènera sa mission avec brio. Sa fiche matricule nous permet de découvrir son parcours militaire :
- il est cité au titre de la brigade suite à un fait de bravoure en février 1915. On lui remet la Croix de Guerre.
- il est de nouveau cité à l'ordre de la brigade en décembre 1915 suite à un autre acte de bravoure.
- il est blessé par balle (plaie au cuir chevelu) en avril 1918
- il est cité à l'ordre du régiment en mai 1918 pour honorer son dévouement lors de l'attaque du 5 avril 1918 (blessure ci-dessus).
- d'août à décembre 1918, il est en captivité
- il est démobilisé le 18/08/1919
- il a reçu la médaille militaire en 1930
Bien qu'il soit mobilisé, on peut suivre sa vie civile pendant la période 1913-1919. Le 28/04/1917, alors qu'il est domicilié à Beaumont-en-Véron, il épouse à Dommiers (Aisne), Lucie GABAUT, native de Dommiers. J'ignore comment ils se sont rencontrés. Je n'ai pas fait de recherches avancées sur l'épouse.
Pierre est cultivateur. Rapidement, le couple accueille son premier enfant : Lucien naît en janvier 1918 à Beaumont-en-Véron. Puis une fille, Lucienne, naît en octobre 1919. Elle ne vit que 10 jours. Viendra ensuite Fernand en 1920.
En 1921, Pierre, Lucie et leurs enfants sont recensés à Beaumont-en-Véron (à la Bellivère). Pierre enterre son père (Pierre 5è du nom) en juillet.
Ensuite, chaque année, un enfant naît : Hilaire en 1922, Rolande en 1923, Roland en 1924, Gisèle en 1925, Pierre (7è du nom !) en 1926 et Denise en 1927. Cette dernière née ne vit que 9 mois. En 1926, le famille est recensée à Beaumont-en-Véron (à la Béruserie). Enfin, le couple accueille son 10è enfant, Firmin, en 1929.
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Pierre RICOTTIER - 1930 Carte du Combattant - Archives départementales d'Indre-et-Loire |
En 1931, la famille vit toujours à la Béruserie, commune de Beaumont-en-Véron, mais en 1935 Pierre est domicilié à Ligré (selon sa fiche militaire), à la Porte du Bois, et la famille est y est recensée en 1936, aux Roches Saint-Paul.
Pierre a 44 ans, il est marié et a 8 enfants. Il est cultivateur et vit à Ligré.
On pourrait s'arrêter là et conclure que Pierre vécut paisiblement et eut une jolie et nombreuse descendance. Mais ce serait complètement faux. Sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille.
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En avril 1938, Pierre perd sa femme. Lucie GABAUT est décédée à 43 ans, à Maillé. Lui se retrouve veuf, à 45 ans, avec 8 enfants de 9 à 20 ans.
En décembre 1938, Pierre épouse Ernestine TARTRE, une femme divorcée qui vit à Maillé (où a lieu la noce), elle est plus jeune que lui, et a deux enfants : Marcel BOULOISEAU 18 ans, et Suzanne BOULOISEAU 17 ans. Elle est épicière.
Au printemps 1939, Suzanne se marie à Maillé avec André MEUNIER.
L'été suivant, la guerre éclate, mais Pierre est libéré de toute obligation militaire depuis qu'il a 8 enfants.
En fin d'année, Ernestine devient grand-mère pour la première fois. Pierre est donc grand-père par alliance.
En 1940, la France est coupée en deux à partir d'octobre. Maillé est en zone occupée, mais la ligne de démarcation n'est pas loin. En fin d'année, Pierre perd sa mère.
Début 1941, il déclare l'enfant qu'il a eue avec Ernestine. La petite Pierrette est la 1ère du jeune couple, mais elle a déjà une fratrie bien nombreuse (10 enfants). Peu de temps après, Lucien, le fils aîné de Pierre, se marie avec Marie-Thérèse.
En novembre 1942, Pierrette a une petite soeur : Mireille, mais Pierre déclare son décès 8 mois plus tard.
Au printemps 1944, Fernand, le 2è fils de Pierre se marie. Puis c'est au tour de sa soeur Rolande.
Mais le bonheur fut interrompu par l'Histoire. Le 25 août 1944, le jour de la libération de Paris, une troupe de soldats allemands traversa le village de Maillé et massacra minutieusement tout être vivant (humains, bétail, chiens...) laissant derrière elle un village meurti et une horreur indicible.
Il est difficile de retracer ce que chacun a fait ce jour-là.
Voici quelques éléments autour de Pierre.
Suzanne, la fille d'Ernestine a témoigné. Elle était à la maison avec sa mère (femme de Pierre RICOTTIER), sa grand-mère de 71 ans (belle-mère de Pierre RICOTTIER) et ses deux enfants : Annie 5 ans et Jean 3 ans. Les Allemands sont entrés, ils leur ont tiré dessus, blessant les 3 femmes et mutilant le petit, qui agonisa quelques heures. Après avoir rechargé son arme, un Allemand tira sur Annie, la tuant sur le coup. La grand-mère ne survécut pas. Elle s'appelait Justine COGNAULT, veuve TARTRE. La femme de Pierre était gravement blessée ne bougeait plus. Suzanne resta immobile pour ne pas attirer l'attention des bourreaux. D'autres soldats allemands revinrent et mirent le feu. Suzanne parvint à sortir avec son fils, mais ne put retourner chercher le corps de sa fille. Ernestine prit le courage de se trainer dehors. Elles furent rejointes plus tard par le mari (André MEUNIER) et le beau-père de Suzanne (Julien MEUNIER). Ernestine fut tardivement transportée à l'hôpital de Montbazon où elle périt 3 jours après le massacre.
J'ignore où était Pierre au moment du massacre, et par la suite, mais ce jour-là, il perdit sa seconde épouse, sa belle-mère, ainsi que sa maison et ses dépendances.
A 52 ans, Pierre est deux fois veuf, il a 9 enfants, dont une fille de 3 ans à élever, dans un village qui a été massacré par des soldats allemands. Le bilan final du massacre fut de 124 morts, de 3 mois à 89 ans. Et un village à reconstruire.
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On imagine que survivre dans un village massacré consiste surtout à contribuer au nettoyage puis à la reconstruction. Je n'ai pas de témoignage concernant Pierre RICOTTIER et ce qu'il a pu faire en 1944.
En novembre 1944, la rentrée scolaire a lieu, sans les petits camarades qui ont été massacrés.
En mai 1945, la capitulation de l'Allemagne met fin à la guerre. Le village de Maillé sera reconstruit.
En juillet 1945, Pierre épouse Arthémise GABILLOT à Pouzay. Elle a 50 ans et son frère est mort lors du Massacre de Maillé. Lors du recensement de 1946, Pierre et Arthémise habitent à Maillé, avec Pierrette qui a maintenant 5 ans.
Les recensements d'Indre-et-Loire ne sont pas encore accessibles en ligne après 1946.
Je n'ai pas trouvé d'enfant né de la 3è union de Pierre, qui fut cassée par un jugement de divorce au printemps 1948. On apprend sur la transcription du jugement que Arthémise "Céline" GABILLOT était partie de Maillé pour vivre à Antogny. Le divorce est prononcé aux torts et griefs de la femme, et au profit exclusif du mari.
En janvier 1959, Pierre épouse Marie MARTIN à Maillé. La mariée a 71 ans et le marié 67. Ce sera son dernier mariage.
Sur l'acte de décès de Pierre, on peut lire ceci :
Le 21 juin 1968 est décédé Pierre RICOTTIER, médaillé militaire, décoré de la croix de guerre 14-18 (...), veuf en premier mariage de Lucienne Henriette GABAUT, veuf en second de Ernestine TARTRE, époux divorcé en troisième de Arthémise GABILLOT, et époux en quatrième de Marie MARTIN.
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