Selon l'adage, on ne choisit pas sa famille. En matière de généalogie, on la cherche et on finit par trouver des cousins. Jusque là, je n'innove pas.
Cette année, j'ai pu vérifier un lien de parenté entre mon mari et ... Marie DAVAILLAUD. Plus connue sous le nom de Marie BESNARD, du nom de son dernier époux. La bonne dame de Loudun, ou l'empoisonneuse, elle a eu plusieurs surnoms. Et pourtant, quand on s'intéresse à son histoire, on se rend compte qu'après 3 procès, et être passée à ça de la guillotine, elle a été acquittée.
| Marie DAVAILLAUD, veuve BESNARD, 1962. Crédit photo : La Nouvelle République |
Marie est née en 1896 dans le Poitou, de parents cultivateurs. Elle grandit auprès d'eux, à Saint-Pierre-de-Maillé et les aide à la ferme. Puis vint son cousin, Auguste ANTIGNY, ils ont les mêmes grands-parents. Il n'a pas d'argent, il est malade (sa fiche matricule indique en 1909 qu'il est atteint de tuberculose pulmonaire). Il ne sera pas mobilisé pour cette raison. Juste après la guerre, en 1920, ils se marient. Il vient habiter avec eux. Après 4 ans de mariage, sa santé se dégrade. Auguste laissera Marie veuve à 31 ans, en 1927. Elle sombre dans un état dépressif.
Marie rencontre ensuite Léon BESNARD, marchand de cordes à Loudun. Après quelques temps, ils se marient, en janvier 1929. Elle s'installe à Loudun. Le père du marié n'approuve pas l'union mais il ne s'entendait déjà pas avec son fils avant son mariage, donc ça n'arrange rien. La soeur de l'époux avait aussi de la haine pour son frère. Donc Marie arrive en ville (5000 habitants à l'époque) dans un contexte qui n'est pas facile. En outre, on parle de la famille BESNARD. La situation du couple fait envie, il est réputé fortuné. Les BESNARD père et fils en viennent parfois aux mains. Leurs disputes font parler les commères locales.
Dans les années 1930-1940, le couple perd des proches. Une grand-tante de Léon meurt en août 1938, à 86 ans, mais avait déshérité Léon influencée par la soeur. Un ami proche de Léon meurt de la tuberculose en juillet 1939, Toussaint RIVET. Marie était devenue très amie avec son épouse. En mai 1940, le père de Marie meurt d'une congestion cérébrale. Marie est fille unique. Elle hérite donc de son père, en indivision avec sa mère de la ferme des parents et de terres. Elle recueille sa mère à Loudun. En septembre 1940, Léon perd sa grand-mère, morte à 92 ans, puis en novembre il perd son père, mort à 58 ans. Les ragots vont bon train. 58 ans, ce n'est pas vieux, on dit même qu'il a eu des problèmes gastriques après avoir mangé des champignons. 3 mois plus tard, c'est la mère de Léon qui décède, à 69 ans, d'une congestion pulmonaire double. La soeur de Léon refuse que Marie hérite de quoi que ce soit de la famille BESNARD. Lucie est retrouvée suicidée par pendaison deux mois après le décès de sa mère. Les rumeurs prennent de l'ampleur. Fin 1941, Léon et Marie achètent la maison de la veuve RIVET en rente viagère. Mais celle-ci meurt avant le 1er versement. Son testament, rédigé en décembre 1940, fait de Marie sa légataire universelle. Ensuite, aucun décès à relater pendant 3,5 ans. En juillet 1945, à 8 jours d'écart, ce sont deux cousines de Marie qui trépassent, à 88 et 83 ans. C'est donc 10 morts autour du couple en 7 ans.
A Loudun, on parle de Marie. Elle est très dévote, va souvent au cimetière pour honorer les disparus de sa famille et va à tous les offices.
A l'automne 1947, le couple est allé avec un ami dans la ferme de Marie à Saint-Pierre-de-Maillé. Ils partagent un repas avant de partir, c'est elle qui a cuisiné. On sait même le menu. Dans la soirée, ils ne se sentent pas bien. Marie et l'ami s'en remettent, mais Léon reste malade plusieurs jours puis décède d'urémie. Après les obsèques, la factrice raconte à des amis (les frères MASSIP) que son ami Léon lui aurait confié que sa femme aurait tenté de l'empoisonner. Un des amis écrit au Procureur de la République de Poitiers. Un enquête discrète est menée mais ne donne rien. L'affaire est classée sans suite. Mais c'est sans compter la rumeur qui se propage à Loudun.
Un an plus tard, le château où habitent les frères MASSIP subit un incendie. La rumeur dit que c'est Marie qui se venge de la lettre de dénonciation. On découvrira que les incendiaires étaient des gamins qui jouaient avec des alumettes.
En janvier 1949, une épidémie de grippe emporte la mère de Marie, à 86 ans. Auguste MASSIP reste persuadé que Marie est liée à l'incendie et trouve suspect que sa mère soit morte. C'est peut-être une sorcière ! Il prévient la police, qui compte parmi ses rangs des enquêteurs et un jeune juge d'instruction, qui sont tous très ambitieux pour leur carrière. Auguste MASSIP leur donne la liste de 12 décès qui ont touché des proches de la famille de Marie. Selon lui, ils ont tous profité à la veuve (legs ou héritages). Peu de temps après, c'est au tour de la factrice, Louise PINTOU, qui loue la maison de la pendue, de subir un cambriolage. Lors de l'enquête, elle parle des confidences de Léon BESNARD. Le jeune juge (25 ans) demande l'exhumation de son corps, qui a lieu en mai 1949. Interrogée en juillet, Marie répète que son mari n'est pas mort d'empoisonnement. Mais les tests qui ont été fait sur la dépouille ont révélé la présence d'arsenic, à une dose anormale. Donc l'empoisonnement n'est pas rejeté. Elle est accusée d'en être à l'origine. Elle est arrêtée et emprisonnée à Poitiers le 21 juillet 1949. Ses 2 avocats demandent une contre-expertise, qui est refusée. Les 11 autres corps des proches de Marie sont exhumés, et testés, y compris ceux de son 1er mari mort depuis 22 ans. Fin octobre 1949, il est établi la présence élevée d'arsenic dans 11 des 12 cadavres testés, alors que les cercueils et la terre où ils étaient déposés n'en renferment pas. Marie, qui n'en croit pas ses yeux, est maintenant accusée d'avoir volontairement tué 11 personnes ! 10 parents et 1 amie.
Dès lors, Marie subit une expertise psychiatrique qui dure 3 ans. 2 autres avocats agrandissent l'équipe chargée de sa défense, dont une femme. Le procès a lieu à Poitiers en février 1952. On accuse Marie d'abord d'avoir encaissé un mandat postal destiné à sa tante. On écoute ensuite 80 témoins à charge. Arrive ensuite l'expert chargé de l'analyse des 11 corps, qui s'embrouille dans ses explications et qui révèle qu'il y a eu un problème avec les bocaux de conservation des prélèvements, des inexactitudes dans ses comptes-rendus et anomalies dans le rapport final. Il perd toute crédibilité et sa carrière est finie. Les avocats de Marie ont fait expertiser la terre du cimetière de Loudun, et des traces d'arsenic y ont été trouvées. Ils demande une contre-expertise des corps. Une seconde exhumation a lieu en mars 1952. En attendant, la veuve est toujours en prison.
Cette fois, les experts viennent de Paris. On teste les restes cadévériques, des bouts de cercueils, des fibres de vêtements et de la terre. Le second procès a lieu en mars 1954, à Bordeaux, pendant deux semaines. Il ne reste que 6 personnes pour lesquelles la mort est suspecte. On entend de nouveau la factrice, les frères MASSIP et d'autres témoins, puis les experts parisiens. Ils concluent bien à la présence élevée d'arsenic, mais s'interrogent sur sa provenance. La mère de Marie BESNARD aurait dû ingérer 18g de poison, ce qui paraît énorme. Un scientifique indique que certains microbes du sol pourraient favoriser l'absorption d'arsenic par des corps. Un autre rappelle que le zinc présent dans les cimetières contient de l'arsenic. On apprend également que le gardien du cimetière cultive des pommes de terre et des céréales. Et quoi de mieux que l'arséniate de chaux pour combattre les doryphores ? Enfin, un dernier expert parisien indique que l'arsenic est soluble et peu être véhiculé dans le cimetière par les eaux de ruissellement, et se fixer sur certains restes humains. Devant toutes ces contradictions, la cour demande de nouvelles expertises. Marie est remise en liberté provisoire en avril 1954 et retourne à Loudun le mois suivant.
Une nouvelle équipe d'experts est constituée en 1955. Elle travaille pendant 6 ans. Le 3è procès a lieux en novembre 1961 à Bordeaux. Pour la 3è fois, Marie est accusée d'avoir empoisonné ses proches, et pour la 3è fois elle proteste et clame son innocence. Et c'est au tour des experts d'informer la cour de leurs démarches et conclusions. Ils ne sont pas d'accord. Les tests à l'arsenic ne révèlent pas les mêmes quantités ; la terre du cimetière de Loudun n'a pas la même composition ; des erreurs d'unité et de virgule finissent par semer le doute dans la Cour d'assises. Finalement, il ne reste plus que les ragots de Loudun dans le dossier. Est-ce que Marie est coupable de la mort des 11 proches ? Non, elle est acquittée.
Cette affaire a été fortement médiatisée, donc on retient surtout que cette femme a empoisonné. Pourtant, cette histoire est née d'une rumeur qui a accusé une femme d'être une tueuse en série, mais la science n'a pas su le prouver. Et chaque affaire d'empoisonnement par une femme donne lieu à des titres faisant appel à la mémoire collective du genre "la nouvelle Marie BESNARD" ou "la Marie BESNARD de "... Ami lecteur, rappelle-toi que rien n'a prouvé la culpabilité de Marie BESNARD.
Marie BESNARD a tout perdu, ses proches, ses biens et sa liberté. Elle n'a touché aucune indemnité, aucun dédommagement, ni des diffamateurs, ni de l'État.
Elle publie ses mémoires en 1962.
Elle est décédée à Loudun en 1980, d'un cancer des os. Elle a refusé l'inhumation et a fait dont de son corps à la science.Concernant mon mari, il partage un couple d'ancêtres avec Marie BESNARD, mais ce couple a vécu au début du XVIIIe siècle (10 générations avant lui, 8 générations avant elle).
Souces :
L’affaire Marie Besnard : une querelled’experts qui s’achève par un acquittement Anger et Goullé 2006
Marie Besnard, Le triomphe de l'innocence d'après le livre éponyme de son avocate
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